Interview à l'Avocat du peuple

Il se nomme El hadj Mbodj. De nationalité sénégalaise, il est professeur agrégé de droit public et science politique de l’Université Cheik Anta Diop à Dakar. Expert constitutionnaliste et électoral auprès de la Délégation de la Commission européenne en RD Congo, Mbodj a pris part aux négociations congolaises en tant que conseiller technique de Mustapha Niasse, le président de la commission politique et juridique de la facilitation du Dialogue inter-congolais. Pendant les

Interview à l'Avocat du peuple

"La RDC a à vendre en matière d’ingénierie institutionnelle", estime le prof. El Hadj Mbodj

 

Interview à "L'Avocat du peuple"-Bi-hebdomadaire d’informations générales paraissant à Kinshasa-Edité par le Groupe Ibrali International TRD Tél : (243) 998097789 fredshindano@hotmail.com


Il se nomme El hadj Mbodj. De nationalité sénégalaise, il est professeur agrégé de droit public et science politique de l’Université Cheik Anta Diop à Dakar. Expert constitutionnaliste et électoral auprès de la Délégation de la Commission européenne en RD Congo, Mbodj a pris part aux négociations congolaises en tant que conseiller technique de Mustapha Niasse, le président de la commission politique et juridique de la facilitation du Dialogue inter-congolais. Pendant les négociations à Sun City, Mbodj a eu à coordonner les travaux des experts des composantes et entités ainsi que ceux des experts internationaux chargés de la rédaction de l’Accord global et inclusif, signé le 17 décembre 2002 à Sun City en RSA. L’homme de science, il est le premier expert à avoir écrit le tout premier draft de la Constitution de la transition congolaise.

 

"L’Avocat du peuple" vous propose l’exclusivité de l’interview qu’il a eu à réaliser avec cet expert d’exception.

 

Q.-Bonjour Monsieur le professeur, voulez-vous vous présenter et nous dire quel a été l’objet de votre mission en RDC?

 

R.- Je vous remercie Madame pour la première question. Je voudrais saisir cette occasion pour adresser mes sincères remerciements à l’Avocat du peuple qui a bien voulu m’ouvrir ses colonnes afin de me permettre d’exposer d’une manière générale les expériences vécues en RDC. Présentement, je suis ici en RDC en tant que expert constitutionaliste et électoral auprès de la Délégation de la Commission européenne en RDC. Au auparavant, la chance historique m’a été donnée de participer au processus de négociations politiques dans ce pays dans la mesure où je fus le conseiller technique de son excellence Mustapha Niasse qui présida la commission politique et juridique de la facilitation du Dialogue inter-congolais à Sun City, avant d’être nommé envoyé spécial du secrétaire général des nations unies pour la relance du Dialogue inter-congolais qui était en panne. A cet égard, j’ai eu à coordonner les travaux des experts des composantes et entités ainsi que ceux des experts internationaux, chargés de la rédaction de l’Accord global et inclusif qui, comme vous le savez, a été signé le 17 décembre 2002 à Sun City. 

 

L’Accord global et inclusif a été suivi le 6 mars 2003 de la signature de la Constitution de la transition. Ces deux instruments juridiques ont par la suite été endossés lors des assises de Sun City II, tenu au début du mois d’avril 2003. C’est en fonction de cette expérience acquise, alors que j’étais expert de la Direction des Affaires politiques des Nations unies (ONU) que l’Union européenne (UE) a bien voulu m’offrir l’opportunité de continuer ce travail entamé en me recrutant pour me permettre à la disposition du parlement dans le cadre du projet ‘‘Appui juridique au parlement de la transition’’. Il s’agit d’assister l’Assemblée nationale et le Sénat dans l’élaboration des lois essentielles eu égard au fait que je suis dans une mesure, une mémoire institutionnelle des négociations politiques inter-congolaises, et ce, depuis les assises d’Addis Abeba (Ethiopie) en octobre 2001. 

 

Q.-Voulez-vous nous parler en gros de la politique sénégalaise?

 

R.- Le système politique sénégalais connaît une certaine stabilité politique dans la mesure où ce pays n’a jamais connu un coup d’Etat militaire alors qu’il y a eu, depuis son accession à la souveraineté internationale, une succession de trois présidents de la République. La succession du président L.S Senghor par le président Abdou Diouf s’était déroulée conformément à la l’article 35 de la Constitution qui faisait du premier ministre, nommé et révoqué discrétionnairement par le président de la République, le dauphin constitutionnel du chef de l’Etat en cas de vacance à la présidence de la République. La succession du président Diouf par le président Abdoulaye Wade s’est par contre déroulée suite à une alternance démocratique intervenue à la suite d’élection pluraliste, transparente et loyale. 

 

En outre, il y a plusieurs partis politiques qui se partagent le panorama politique au Sénégal. Le multipartisme qui existait au moment des indépendances et qui, par la suite, avait été supprimé, fut réintroduit dans le jeu politique sénégalais en 1976 sous une forme limitée à trois d’abord et à quatre en suite avant d’être ouvert totalement en 1981.

 

Q.- Comment avez-vous trouvé le niveau des politiques congolais et quelle lecture faites-vous de la politique congolaise face aux enjeux de la mondialisation?

 

R.- A travers les débats que je suis à la télévision, à la radio et dans les journaux, ou bien en me référant aux interventions des parlementaires dans l’enceinte du Palais du peuple, je constate et sans partie pris que le niveau du débat me paraît assez élevé en RDC par rapport aux débats parlementaires qu’il m’a été donné de suivre dans certains pays africains. J’ai constaté lors de l’élaboration de la loi électorale, une volonté manifeste des parlementaires congolais de relever le niveau intellectuel des interventions en exigeant des candidats à la députation où au Sénat, un niveau universitaire devant leur permettre d’appréhender en toute connaissance de cause les textes qui sont soumis à leur sanction. J’ai eu à attirer l’attention des responsables politiques de mon pays sur l’impérieuse nécessité de recentrer techniquement et politiquement des interventions de nos parlementaires à qui aucun diplôme ou niveau intellectuel n’est exigé.

 

Il en résulte une pléthore des députés analphabètes qui ne comprennent pas le sens et la portée des textes à débattre et à délibérer et qui de ce fait, sont souvent tentés de verser dans les injures et invectives pour épuiser leur temps de la parole. Moi, franchement, j’ai constaté que le niveau des débats à l’Assemblée nationale et au Sénat, en RDC, est très élevé. Au demeurant, ce vaste pays le Congo, est doté des ressources humaines qui peuvent lui permettre de relever les différents défis auxquels il est confronté.

 

Quelle lecture faites-vous de la politique congolaise face aux enjeux de la mondialisation ?

 

A mon avis, je crois qu'il faut bien sérier le cadre conceptuel. La politique ne peut être nationale, intégrée et légitime que si elle est la résultante d'un programme légitimé par le peuple à la suite d'élections pluralistes, sincères et transparentes. Je rappelle que la formule magique 1+4 imaginée par les négociateurs de Sun City afin d'instaurer un équilibre entre les composantes et entités du dialogue inter congolais, n'est pas un système de gestion gouvernante durable mais un mécanisme institutionnel de sortie de crise devant permettre aux institutions de la transition d'élaborer un arsenal juridique assurant l'organisation des élections. C'est au sortir de ces élections qu'un gouvernement légitime issu de la majorité parlementaire issu du verdict des urnes pourra déterminer une véritable politique nationale sur la base du programme électoral accepté par les électeurs. Il convient à notre avis d'attendre les élections pour évaluer cette politique par rapport à son environnement international.

 

Pensez-vous que la démocratie fait de progrès en RD-Congo?

 

Il y a à notre avis une ambivalence de la démocratie et tout dépend de l'angle où l'on se situe pour l'appréhender. La démocratie peut être envisagée sous une dimension normative, à partir de son organisation par les textes aménageant le pouvoir politique, tout comme elle peut être jaugée compte tenu des attitudes et des comportements des acteurs politiques, c'est-à-dire de la culture démocratique intégrée dans les consciences collectives des gouvernants et des gouvernés. Revenons en profondeur sur ces deux points.

 

Sur le plan normatif, en ce qui concerne les instruments juridiques balisant la voie à l'avènement de la 3ème République Congolaise, on peut relever que la charte fondamentale promulguée le 18 février 2006 s'intègre dans la catégorie de la 3ème génération des constitutions africaines. Il s'agit là d'une constitution pensée et collectivement réfléchie, exprimant la volonté d'acteurs différents et objectivement sanctionnée par le peuple à l'occasion d'un référendum qui n'a pas dérivé en plébiscite comme ailleurs. Elle se diffère des constitutions instrumentalisées, reflétant la volonté unilatérale du dirigeant du moment qui cherche à légitimer un pouvoir personnel ou a pérenniser sa domination. La nouvelle constitution a été préparée par le Sénat qui a élaboré l'avant-projet qui sera ensuite transformé en projet de Constitution, lequel allait être ratifié par plus de 12 500 000 congolais sur les 15 000 000 qui se sont exprimés au référendum. Cette constitution est dès lors investie d'une légitimité démocratique et populaire incontestée.

 

Analysant le contenu de la Constitution, tous les droits de la première à la troisième génération ont été pris en compte. Toutefois, la grande originalité de cette constitution est la consécration de la parité homme femme qui est un objectif constitutionnel que l'Etat devra chercher, par tous les moyens, à réaliser. Cette innovation majeure visant à promouvoir la femme est à saluer. Ensuite, dans l'ordonnancement des pouvoirs publics, il est à remarquer que le Président de la République n'est pas omnipotent comme ailleurs, mon pays le Sénégal par exemple. Je disais à ce propos quelque part qu'il était beaucoup plus commode de vêtir le manteau présidentiel au Sénégal qu'en RDC où les pouvoirs du Président de la République sont limités et rigoureusement encadrés alors qu'ailleurs le chef de l'Etat apparaît comme un véritable monarque. A un autre niveau, le Constituant de la 3ème République a manifesté sa volonté non équivoque de renforcer l'Etat de droit en garantissant l'indépendance du pouvoir judiciaire. Le Conseil supérieur de la magistrature, par exemple, doté de base constitutionnelle, n'intègre plus dans sa composition, le Président de la République et le Garde des Sceaux, ministre de la Justice. Il gère désormais administrativement et budgétairement et en toute souveraineté, les affaires ressortissant au pouvoir judiciaire. 

 

Le système électoral mis en place par le législateur congolais réserve une place de choix à l'électeur à travers la liste ouverte et le vote préférentiel. Le lien affectif entre l'électeur et l'élu est beaucoup plus marqué que dans les systèmes où la confection des listes des candidats est du ressort exclusif des oligarchies qui contrôlent les appareils partisans.

 

Donc sur le plan de l'organisation démocratique, la RD-Congo n'a rien à envier aux Etats les plus avancés. Il y a autant de raisons poussant à envisager l'avenir politique du Congo avec optimisme. Toutefois, il convient d'accorder une attention soutenue à la question de l'effectivité des textes qui est conditionnée par leur réceptivité, par la manière dont ils sont appliqués et par le comportement des hommes et des femmes qui sont chargés d'animer les futures institutions démocratiques. On peut estimer que cette volonté de lever les hypothèques et de placer la RD-Congo sur l'orbite des Etats émergents ne manquera pas d'animer les acteurs politiques élus à la suite des élections à venir et qui, à travers leurs comportements ajusteront la pratique au droit afin de mieux baliser la voie vers le développement, la paix et la stabilité tant souhaités par le peuple.

 

Q.- Dites-moi ; quels sont les avantages et les inconvénients du processus congolais?

 

R.- Vous me permettrez d'insister sur les avantages dans la mesure où lorsque les parlementaires élaborent des textes, ils sont généralement mûs par le désir de projeter le pays dans la voie de sortie de crise ou de règlement définitif sinon durable des crises qui plombent le développement du pays. Le Congo est un géant de l'Afrique, un des pôles de développement par cercles concentriques comme le disait le président Senghor. Il est doté de ressources humaines et naturelles qui en font tout naturellement un épicentre agrégatif du développement régional de l'Afrique centrale. Toutefois, la stabilité politique est le préalable au décollage et elle est conditionnée par la légitimité du pouvoir politique. On peut considérer, à juste titre, que l'objectif visé par les constructeurs du système politique de la 3ème République est de mettre en place un système de gouvernement légitime reposant sur une stabilité politique permettant à la RD-Congo de retrouver sa place dans le cénacle des Etats africains propulseurs de leur environnement régional dans la voie du développement politique et économique.

 

Q.- En tant qu'expert, quelle lecture faites-vous des échéances électorales en cours et comment voyez-vous l'avenir de la RD-Congo après les élections ?

 

Disons que, malgré les difficultés rencontrées ça et là, l'avenir démocratique de la RD-Congo peut être envisagé avec un certain optimisme. Remarquons que 2 ou 3 ans auparavant, l'infrastructure juridique relative à l'organisation des élections était inexistante. Progressivement le pays s'est doté d'un arsenal constitutionnel et juridique ouvrant la voie vers la tenue d'élections de sortie de crise. Patiemment et laborieusement, le parlement a successivement voté une loi organique relative à la Commission électorale indépendante et des lois sur l'identification et l'enrôlement des électeurs, la nationalité, le référendum, les élections et l'amnistie; en plus du projet de Constitution soumis au référendum. Désormais, tous les textes sont en place pour l'organisation des élections. Ensuite, il y a une série d'actes posés par la CEI, notamment les opérations d'identification et d'enrôlement des électeurs qui ont permis d'enregistrer près de 26.000.000 de congolais sur les listes électorales alors que l'inscription sur les listes électorales traîne dans beaucoup de pays. Ensuite, la CEI s'est attelée à enregistrer et à publier la liste des candidats à la présidentielle et aux législatives et s'apprête à publier le calendrier définitif des scrutins. Enfin, la campagne électorale a démarré pour la présidentielle le lendemain de la publication de la liste des candidats, conformément au prescrit de la loi électorale. Si l'on sait que le référendum s'est déroulé de manière relativement satisfaisante, on pourrait légitimement envisager un certain optimisme pour les prochaines échéances électorales. La loi électorale a prévu des dispositions garantissant la transparence du processus électoral avec notamment les témoins des partis politiques et des candidats ainsi que les observateurs nationaux et internationaux. Tout un dispositif est en place pour que les élections transparentes et sincères escomptées débouchent sur l'avènement d'un gouvernement légitime dont la préoccupation majeure n'est plus la sortie de crise, mais une gestion gouvernante démocratique de la RD-Congo.

 

En ce qui me concerne, disons que je suis dans l'ensemble optimisme quant au devenir du pays, encore que tout dépend une fois de plus de la gestion post-électorale. C'est pour ces raisons que tous les amis et partenaires de la RD-Congo devraient résolument l'accompagner dans le guidage de la 3ème République par les gouvernants issus des urnes.

 

Q.- Quels conseils pouvez-vous donner au peuple congolais?

 

L'appropriation de la culture de la citoyenneté, car tout part du citoyen et tout revient au citoyen. Cette citoyenneté est une qualité supérieure qui s'attache à l'individu …

 

Q- Puisque chez nous on n'a pas encore procédé à des élections pluralistes transparentes ….

 

Encore une fois, cette citoyenneté dont il est question devrait conscientiser le congolais sur sa véritable place dans la société. Il devra s'intégrer à terme dans la dynamique politique et s'approprier le système démocratique qu'il a contribué à mettre en place par le biais de sa participation au référendum et aux futures élections. Les vertus de la citoyenneté sont multiformes. Le citoyen doit avant tout prendre connaissance des règles, principes et mécanismes qui organisent la société. Il doit sur ce point être soutenu et encadré par les organisations de la société civile. Ensuite, l'affection devra se greffer sur la connaissance du système. L'élu devra être conscient qu'il doit son statut au citoyen qu'il représente et qui peut le sanctionner en cas de violation de son serment. Enfin, le citoyen doit pouvoir juger, évaluer et apprécier positivement ou négativement la manière dont les affaires publiques sont gérées par les gouvernants. En définitive, tout se ramène à la dynamique participative des citoyens à la vie de la société ; la République étant en définitive la chose de tous.

 

Q.- Vous êtes pratiquement à la fin de votre mission en RD-Congo, comment jugez-vous cette mission et quelle image gardez-vous de ce pays ?

 

Une image tout à fait positive. Je regrette un peu d'avoir pris de l'âge car plus jeune j'aurais volontiers émigré au Congo plus tôt que de tenter l'aventure en Europe ou aux Amériques. Ce pays qui m'a beaucoup marqué m'a surtout donné l'opportunité de mettre en pratique mes connaissances théoriques ; ce que pourraient m'envier pas mal de collègues. Il a fait de moi un juriste de terrain désormais imprégné des techniques de négociation politique et d'écriture des articles de loi. J'ai eu à rencontrer et à sympathiser avec beaucoup de responsables politiques que j'ai eus à côtoyer depuis Sun City. Je suis au Congo depuis 2003. J'ai eu à relever la qualité des débats et des interventions des acteurs politiques et à bénéficier de leur amitié, de leur sympathie, de leur compréhension et de leur tolérance à l'occasion de nos rencontres et séances de travail. Dans l'ensemble, je garde un bon souvenir de mon passage dans ce beau pays. Je prie pour que l'édifice laborieusement construit perdure et permette la RD-Congo de sortir des cycles d'instabilité qui la gangrène depuis son accession, le 30 juin 1960, à la souveraineté internationale.

Q.- Souhaiteriez-vous, vous exprimer sur un sujet auquel je n'ai peut être pas évoqué au cours de cet entretien ?

Vous êtes une excellente journaliste. En tant qu'ancien membre de l'instance de régulation des médias du Sénégal, je puis vous assurer que vous avez brassé tous les aspects de ma mission. A mon avis, je ne crois pas qu'un point particulier ait été occulté, à moins que vous-même, vous ne trouviez un autre centre d'intérêt par rapport à l'entretien.

 

Q.- Un mot de la fin ? Le mot de la fin c'est encore une fois un grand merci du fond du cœur et un optimisme sans cesse renouvelé. Comme je le soutenais dans une interview récemment accordée à un hebdomadaire sénégalais " Le Témoin " que vous pouvez consulter dans mon site -www.elhadjmbodj.com -, la RD-Congo a désormais à vendre en matière d'ingénierie institutionnelle. Une fois son système stabilisé, elle pourrait, à l'instar de certains pays comme le Bénin, constituer une référence, un modèle d'inspiration démocratique. A mes frères et sœurs congolais, je dis ‘‘botikala malamu’’. (Restez en paix, en français ndlr).

Propos recueillis par Marie Antoinette Mudibu.