Emergence d’une culture constitutionnelle inclusive en Afrique, Expérience vécue du processus d’élaboration de la constitution de la République Démocratique du Congo du 18 Février 2006
Philippe Ardant apostropha « la pratique de l’ingénierie constitutionnelle » des experts, ou proclamés tels, (qui) offrent leurs services à des nouveaux Etats, ou à des nouveaux régimes, pour leur livrer une constitution « clés en main ». Il ne manqua pas d’enfoncer le clou en considérant que « L’Afrique et l’Europe de l’Est sont les terrains de prédilection de ces entreprises où, dans une concurrence sauvage,
EMERGENCE D’UNE CULTURE CONSTITUTIONNELLE INCLUSIVE EN AFRIQUE,
EXPERIENCE VECUE DU PROCESSUS D’ELABORATION DE LA CONSTITUTION DE LA REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO DU 18 FEVRIER 2006
El Hadj MBODJ
Professeur titulaire des universités
Agrégé de droit public et de science politique
Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Sénégal)
Ancien expert international en République Démocratique du Congo
INTRODUCTION
Au détour de la question : « Qu’est-ce qu’une bonne constitution ? ».
Philippe Ardant apostropha « la pratique de l’ingénierie constitutionnelle » des experts, ou proclamés tels, (qui) offrent leurs services à des nouveaux Etats, ou à des nouveaux régimes, pour leur livrer une constitution « clés en main ». Il ne manqua pas d’enfoncer le clou en considérant que « L’Afrique et l’Europe de l’Est sont les terrains de prédilection de ces entreprises où, dans une concurrence sauvage, chacun cherche à imposer qui le modèle français, qui le modèle anglais, allemand ou américain. »1
La commande constitutionnelle fut, pendant très longtemps, le procédé de droit commun de production des constitutions en Afrique. Au regard des conditions d’accession des anciennes colonies à la souveraineté internationale, l’extraversion constitutionnelle est consubstantielle à l’Etat créé « clés en mains » (Hauriou). Imposées ou inspirées des constitutions métropolitaines, les premières constitutions qui avaient accompagné les indépendances avaient comme dénominateur commun l’exclusion des populations de leur élaboration et de leur adoption. Il est vrai que l’urgence du moment, qui était de doter l’Etat nouvellement créé d’une constitution sacramentelle magnifiant son accession à la dignité d’Etat souverain, s’accommodait difficilement avec une procédure aussi coûteuse qu’onéreuse d’implication de tous les segments de la société à l’œuvre constitutionnelle.
Cette exigence de célérité, surtout dans un contexte d’embrasement monolithique des régimes politiques de l’Etat postcolonial allait, par la suite, empreindre le processus de production constitutionnelle. Les constitutions de la première générale des régimes politiques africains, souvent étrangères aux sociétés qu’elles ambitionnaient de réguler, avaient souffert de profondes crises de légitimité qui programmèrent à brève échéance leur mise à mort. Ineffectives en ce sens qu’elles n’étaient généralement ni comprises ni réceptionnées par les populations, ces constitutions ne pouvaient alors générer des sentinelles contre un autoritarisme politique effervescent et dévastateur des démocraties pluralistes héritées de la colonisation.
Les régimes autoritaires, civils ou militaires, qui avaient imbibé la sphère étatique africaine du milieu des années 1960 au début des années 1990, constituaient la deuxième génération des régimes politiques africains, rimant avec arbitraire, pouvoir fort incontrôlé et monocentrisme politique. La demande constitutionnelle était toujours d’actualité. En effet, les dictatures, même les plus décriées, sont naturellement enclines à se doter de constitutions. Dans cet ordre d’idées, se mettant progressivement au civil pour asseoir légalement leur mainmise sur le système politique, les régimes militaires se pourvurent de constitutions qui, en réalité, n’étaient que des instruments de légitimation d’un pouvoir irrégulièrement conquis.
Ces constitutions de la deuxième génération des régimes politiques africains étaient l’œuvre de techniciens souvent métropolitains, l’intelligentsia nationale étant généralement estampillée contestataire. Loin de procéder ç un greffage…
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