SUPPRESSION DU SENAT

SUPPRESSION DU SENAT

La voie de la ratification institutionnelle est aléatoire et politiquement risquée pour Macky Sall

 

Même s’il indique que « le Sénat ne peut pas s’opposer à l’adoption du projet de révision », le Pr El Hadj Mbodj n’en souligne pas moins que « la voie de la voie de la ratification est aléatoire et politiquement risquée pour Macky Sall ».

 

Le POPulaire

Quotidien d’informations de proximité - ISSN 0851 2444 - N°3842 – Vendredi 14 septembre 2012–page 11

 

Quel commentaire faites-vous du rejet du projet de loi portant suppression du Sénat et de la Vice-présidence, mais également de la réforme du Conseil économique et social, par la Commission des lois de la chambre haute du Parlement ?

 

Le Sénat, en tant que seconde chambre législative du Parlement sénégalais, est constitutionnellement traité en parent pauvre de la procédure constitutionnelle. Les sénateurs ne disposent pas d’un pouvoir d’initier une révision constitutionnelle. Ils interviennent certes dans la procédure d’adoption du projet ou de la proposition de révision et dans l‘approbation de la révision constitutionnelle par le Congrès.

 

Un Sénat normal, c’est-à-dire pluraliste, dans une composition intégrant une majorité et une opposition sénatoriales, ne peut fatalement résister à des coups de boutoir destructeurs d’un président de la République s’appuyant sur sa majorité à l’Assemblée nationale et sur des sénateurs qui lui sont favorables, même s’ils constituent une minorité sénatoriale.

 

Le Sénat ne peut pas s’opposer à l’adoption du projet de révision. Tout au plus, peut-il retarder la procédure d’adoption. En effet, à la différence de la procédure de révision constitutionnelle en cours dans certains pays, notamment la France et la République démocratique du Congo, le Sénat sénégalais ne dispose pas d’un pouvoir de véto pour bloquer la révision. Dans les deux pays précités, le projet ou la proposition de révision doit être voté en termes identiques par chacune des deux chambres du Parlement. Cette identité de vote exigée donne ainsi un pouvoir de véto au Sénat qui est traité exactement de la même manière que l'Assemblée nationale.

 

Dans le cadre de la procédure législative de droit commun, par exemple, le Sénat peut, toujours dans ces deux pays, s’opposer à un texte voté par l’Assemblée nationale et ainsi, déclencher la navette jusqu’à ce que les deux chambres s'accordent sur un texte unique, à moins que cette navette ne soit interrompue par la mise en place d'une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte unique.

 

La procédure législative sénégalaise ne reconnait ni le système de la navette et a fortiori, ni le système de la commission mixte paritaire. Si l’Assemblée nationale vote le texte et que le Sénat le rejette, le texte retourne à l’Assemblée nationale en vue de son adoption définitive; ainsi que le prescrit l’article 71 de la constitution.

 

Donc, le rejet du projet de loi par le Sénat n’a aucune incidence sur la procédure enclenchée…

 

S’agissant du processus de révision constitutionnelle en cours, l’Assemblée nationale a voté le projet de révision, le Sénat, certainement sur recommandation de sa commission des lois, va le rejeter, l’Assemblée nationale sera alors saisie pour adopter seule le projet de révision constitutionnelle, là où, ailleurs, la procédure de révision constitutionnelle serait complètement bloquée. Le Sénat peut, tout au plus, retarder la procédure en jouant aussi sur le temps. Il dispose d’un délai de 20 jours pour se prononcer, délai pouvant être ramené, en cas d’urgence signalée par le gouvernement, à 7 jours.

 

Après l’adoption du projet, intervient la phase de l’approbation de la révision constitutionnelle. L‘article 103 de la Constitution prévoit une procédure de droit commun de révision qui est le recours au référendum et une procédure abrégée de révision qui est la ratification par le Congrès à la majorité des trois cinquièmes des membres le composant. Le Parlement constituant sénégalais comprend 250 membres qui sont les 150 députés auxquels s’ajoutent les 100 sénateurs. Dans l'absolu, si tous les députés votent le projet de révision et que tous les sénateurs le rejettent, la révision passe tout de même, car l’Assemblée nationale, à elle seule, constitue les trois cinquièmes des membres du Congrès. Par contre, si tous les sénateurs s'opposent à la suppression de leur chambre et qu'un seul député vote avec eux, la révision ne passe pas.

 

Aussi, ce casting constitutionnel de la suppression du Sénat me paraît-il politiquement risqué pour le Président Macky Sall qui est l’initiateur de cette réforme envisagée. En effet, aussi dérisoire soit-elle à l’Assemblée nationale, l’opposition contrôle le Sénat dans son entièreté du fait de la légitimité exclusivement wadienne des animateurs actuels du Sénat. Le vote en bloc de tous les sénateurs auquel s’ajoute celui des députés de l’opposition à l’Assemblée nationale constitueront une minorité de bocage d’une révision constitutionnelle.

 

Ainsi, la voie de la ratification institutionnelle est aléatoire et, surtout, politiquement risquée pour le Président Macky Sall qui se remettrait difficilement d'un tel coup de boutoir de l’opposition.

 

Cependant, à partir du moment où le Sénat, tout au moins dans sa composition et dans sa structuration actuelles est une institution qui, à ce jour, n’a pas réussi à entrer dans le cœur des sénégalais, nul doute que la révision passerait comme lettre à la poste si le projet de révision, adopté en deuxième lecture par l’Assemblée nationale, est soumis à l’approbation référendaire. Dans la pratique, bien qu’elle soit le principe, la ratification référendaire n’a été utilisée qu’une seule fois pour réviser la constitution ; ce fut lors de la réforme du 26 février 1970 instituant le Premier ministre. Sinon, toutes les révisions constitutionnelles intervenues au Sénégal ont emprunté la voie parlementaire et ce fut de bonne guère dès lors que le président de la République disposait d’une majorité qualifiée mécanique au congrès ; ce qui n’est pas le cas du Président Macky qui fait face à l’équation d’un Sénat dont les 2/3 des membres étaient nommés par le Président Wade et le tiers restant constitué essentiellement des élus de sa famille politique.

 

Toutefois, il va aussi se poser le problème de l'opportunité d'une révision référendaire pour supprimer uniquement le Sénat, si nous savons qu’un grand chantier constitutionnel attend le Président Macky Sall pour résoudre durablement, sinon définitivement les incongruités constitutionnelles rencontrées par le Sénégal dans sa marche vers une démocratie constitutionnelle stabilisée. C'est pour cette raison, qu’il est tout-à-fait légitime d’estimer que la suppression du Sénat devrait logiquement s'intégrer dans cette œuvre gigantesque qui attend le Président Macky Sall.

 

Que risque-t-il de se passer, si le Sénat n’est pas supprimé d’ici le 16 septembre, date à laquelle prend fin le mandat des sénateurs ?

 

Incidemment, le Sénat devant être renouvelé ce 16 septembre, si les sénateurs, soutenus en cela par les députés libéraux, refusent de se faire harakiri, la démocratie sénégalaise court le risque de voir fonctionner une institution constitutionnelle avec des animateurs frappés d'illégitimité du fait de la péremption de la présente législature sénatoriale.

 

Pas astreint à un délai pour convoquer le congrès, le président de la République n’est pas obligé d’annoncer à l’avance la procédure de ratification. Le choix de l’une ou de l’autre branche de l’alternative interdit de recourir, en cas d’échec de la première, à la seconde.