REPUBLIQUE CENTRAFRICAINE, VRAIE CONSTITUTION ET FAUX CACHET
« Si l’on ne dit pas ce que l’on pense au moment où on le pense, on ne penserait plus ce que l’on dit au moment où on le dira », a dit Frédéric Dard.
Lorsqu’on s’adresse à un Secrétaire d’Etat aux Affaires Etrangères par exemple, on dit bien « Monsieur le Ministre ». Mais jamais, il ne signera un document en tant que tel. Ce serait une usurpation de fonction.
On appelle le chat : « chat ». Et on appelle la souris : « souris ». Quand le chat n’est pas là, les souris dansent, dit-on. Et quand il apparait, les souris disparaissent. Les deux ne peuvent cohabiter. C’est une question de survie.
Lorsqu’on est Chef de l’Etat de la Transition, l’on ne peut être Président de la République. C’est l’un ou l’autre. C’est une question de respect des Lois de notre pays.
A la page 1 de la Constitution du 30 mars 2016, il est écrit : « Le peuple centrafricain a adopté, le Chef de l’Etat de la Transition promulgue la Constitution dont la teneur suit : ». Ici,il n’y a rien d’anormal.
A la page 47, le cachet apposé aux côtés de la signature et du nom de Madame Catherine Samba-Panza porte les mentions suivantes:« République Centrafricaine. La Présidente ». Là, il y a véritablement problème.
Dans les correspondances administratives adressées à la Cheffe de l’Etat de Transition, on écrivait courtoisement « Madame la Présidente ». En s’adressant à elle, on disait respectueusement « Madame la Présidente ». Dans les réunions et les discours, on disait poliment « Madame la Présidente ».
Mais l’article 104, alinéa 1, du Titre XII des Dispositions Transitoires et Finales de la Charte Constitutionnelle de la Transition ne trempe pas dans les circonvolutions de politesse. Il est strict et ne laisse aucun espace à l’ambiguïté. Il précise que « Le Chef de l’Etat de la Transition ne porte pas le titre de Président de la République ».
C’est si limpide qu’il ne faut pas être juriste pour le comprendre.Par conséquent, le cachet apposé sur la Constitution devrait porter les mentions suivantes : « République Centrafricaine. La Cheffe de l’Etat de la Transition ». Cela peut paraître anodin pour le Centrafricain lambda, mais c’est lourd de conséquences parce qu’il y a faux et usage de faux. La Constitution n’est ni une correspondance administrative, ni un décret.
Nous devons, chacun à son niveau de responsabilité, respecter les lois et règlements de la République. Sinon, c’est la bérézina.
Une autre anomalie dans la Constitution qui pourrait faire l’objet de décision de la Cour Constitutionnelle de Transition ou de la Cour Constitutionnelle est la référence à la Charte Africaine de la Démocratie, des Elections et de la Gouvernance faite dans le préambule en ces termes : « Réaffirme son attachement à la Charte Africaine de la Démocratie, des Elections et de la Gouvernance ».
Un Etat peut-il introduire dans le corpus constitutionnel une référence à une Charte qu’il n’a au préalable pas ratifiée ? Non, répondent de nombreux juristes. Pour d’autres, cette référence, même si elle irrégulière, aura le mérite de pousser les nouvelles Autorités à accélérer le processus de ratification. Mails il n’en demeure pas moins que la charrue a été placée avant les bœufs. Gardons toujours à l’esprit le respect de la trilogie « Adoption-Signature-Ratification » lorsqu’il s’agit des Conventions, Chartes et Traités internationaux.
Dire que tout avait été tenté, sans succès, pour obtenir la ratification par la RCA de cet important document juridique de portée continentale.
En effet, le 21 juin 2011, le Bureau de l’Union Africaine (UA) à Bangui a organisé un atelier pour sensibiliser les Députés sur l’urgence de la ratification de la Charte par les Etats membresen vue de permettre son entrée en vigueur le plus rapidement possible.
Le 29 Août 2011, j’ai accordé une longue interview dans les colonnes du journal « La Fraternité » pour expliquer, en ma qualité de corédacteur de la Charte lorsque j’étais à l’UA, comment l’idée nous est venue ; les difficultés majeures auxquelles nous avons fait face au moment où nous jetions le premier jet ; l’importance des sanctions prévues en cas de changement anticonstitutionnel de gouvernement ; le débat autour des modifications constitutionnelles pour se maintenir indéfiniment au pouvoir ; etc. J’ai eu l’honneur de la signer au nom de la RCA en ma qualité de Ministre des Affaires étrangères lors du Sommet des Chefs d’Etat et de Gouvernement de l’UA tenu le 28 juin 2008 à Sharm El Cheik en Egypte.
Je rappelle toutefois que la Charte a été adoptée le 30 janvier 2007 et non le 30 juin 2007 comme mentionné dans la Constitution.
En mars 2012, la Présidente de la Commission de l’UA a dépêché auprès du Président François Bozizé une mission de haut niveau pour le sensibiliser sur la nécessité de ratifier la Charte. Mais je pense que le point 5 de l’article 24 de la Charte qui stipule que : « Tout amendement ou toute révision des Constitutions ou des instruments juridiques qui porte atteinte aux principes de l’alternance démocratiques » est passible de sanctions de la part de l’UA a été le point de blocage.
Le 31 décembre 2014, j’ai saisi la Cheffe de l’Etat de la Transition à l’effet d’engager la procédure de ratification de la Charte, en indiquant que cela la démarquerait de ses prédécesseurs et s’inscrirait à l’actif de la Transition. Elle a effectivement transmis ma lettre au Ministre de l’Administration du Territoire le 13 janvier 2015 pour action. Celui-ci a introduit une note en Conseil le 20 janvier 2015. L’histoire s’arrête là. Hélas!
J’exhorte par conséquent les nouvelles Autorités à accélérer le processus de ratification de cette Charte, un triptyque « Démocratie-Elections-Gouvernance » dont le dernier volet s’articule autour : 1) du renforcement des capacités des parlements et des partis politiques légalement reconnus pour leur permettre d’assumer leurs fonctions principales ; 2) de la participation populaire et du partenariat avec les organisations de la société civile ; 3) des réformes régulières des systèmes juridiques et judiciaires ; 4) de l’amélioration de la gestion du secteur public ; 5) de l’amélioration de l’efficience et de l’efficacité de l’administration publique et de la lutte contre la corruption ; 6) de la promotion du développement du secteur privé par la mise en place, entre autres, d’un cadre législatif et réglementaire adéquat ; 7) du développement et de l’utilisation des technologies de l’information et de la communication ; 8) de la promotion de la liberté d’expression, en particulier la liberté de la presse ainsi que le professionnalisme dans les médias et 9) de la mise à profit des valeurs démocratiques des institutions traditionnelles et le respect des textes qui régissent le fonctionnement de l’Etat.
La ratification de cette Charte sera une manifestation supplémentaire des nouvelles Autorités à se démarquer des pratiques rétrogrades et à résolument s’engager dans la voie de la gouvernance politique, économique, sociale, démocratique, administrative et militaire en s’appuyant, pas uniquement sur des Institutions fortes comme l’avait déclaré le Président Barack Obama, mais aussi sur des femmes et des hommes forts.
Parce qu’une Institution forte est fragilisée lorsqu’elle est dirigée par des femmes et des hommes faibles, inconstants, manipulables et corruptibles.
Dieudonné KOMBO-YAYA
Ancien Ministre des Affaires Etrangères
Ancien Président de l’A.N.E.