Apres la validation de la candidature de Wade- réflexions sur le sens du juridique
Hier, j’ai eu à rencontrer un petit-fils de Thomas Hobbes : Hans Kelsen. De nos échanges, j’ai eu à lui soumettre quelques questions. Le Code noir validant l’esclavage était-il conforme au droit ? La Shoah était-elle respectueuse du droit ? L’Apartheid qui faisait l’apologie d’une société de classes en Afrique du Sud était-il conforme au droit ?
Hier, j’ai eu à rencontrer un petit-fils de Thomas Hobbes : Hans Kelsen. De nos échanges, j’ai eu à lui soumettre quelques questions. Le Code noir validant l’esclavage était-il conforme au droit ? La Shoah était-elle respectueuse du droit ? L’Apartheid qui faisait l’apologie d’une société de classes en Afrique du Sud était-il conforme au droit ?
Contraint par le temps, il décida de me répondre par l’entremise d’un de ses enfants : le Juriste-universitaire. Ce dernier, quelques heures plus tard, me remit une lettre qui, à sa lecture, me fit comprendre que mes interrogations empruntaient les « chemins du droit ». Esclavage, holocauste, Apartheid… sont des institutions juridiques. La « pureté » du positivisme normativiste me fit comprendre que la théorie que promeut Kelsen est aphilosophique. Hélas ! Dans les amphithéâtres des facultés de droit les enfants de Kelsen règnent en maîtres. Ils sont les seuls diseurs du droit, les seuls diseurs de droit. L’inculture et le mysticisme primaire de la « loi » par l’universitaire-juriste sous l’étiquette d’une séparation entre droit et morale, ont fini de faire du Droit une science sans conscience. Rabelais naturellement ne saurait partager une telle conception des sciences juridiques.
Fort heureusement, quelques jours avant ma rencontre avec Kelsen, je fis mes humanités auprès d’Aristote, Saint Thomas d’Aquin, Ronald Dworkin... Ils m’apprirent que le Droit ne peut se départir de sa sève morale. De véritables sages du droit. Ceux du Conseil constitutionnel le sont-ils ? Je ne le pense pas ! Quid leges sine moribus vanae proficiunt ? (Que sont les lois sans la morale?).
La combinaison des articles 27 et 104 de la Constitution sénégalaise devant informer sur l’aptitude d’Abdoulaye Wade à solliciter un troisième mandat présidentiel, fut une invite pour la communauté scientifique à investir, sous le couvert de la théorie des conflits de lois dans le temps, les perspectives d’une telle « question ». Vue comme un problème de type « kafkaïen » par les politiciens libéraux, la question de la possible candidature d’Abdoulaye Wade fut moins byzantine chez les universitaires. De façon péremptoire, la communauté scientifique répondit défavorablement au troisième mandat du leader du Parti démocratique sénégalais.
Dois-je dans cette rubrique de l’analyse juridique, rajouter quelques lignes attestant de l’invalidité d’une telle candidature ? Je ne le pense pas ! Le Livre de l’illégalité du troisième mandat présidentiel ne respire plus. Il ne comporte aucune page susceptible d’accueillir encore la moindre goutte d’encre. La science du droit invalide le troisième mandat d’Abdoulaye Wade. Un étudiant de la première année de droit après clôture du premier semestre peut « conseiller » le Conseil constitutionnel. Il peut offrir de la sagesse aux cinq « sages ». L’argument de la possible interprétation des dispositions constitutionnelles est trop fragile. Comme aimait à le rappeler le doyen Eisenmann : « l’interprétation ne doit pas être une trahison ». La synthèse des articles 27 et 104 de la Constitution ne peut s’assimiler à une boîte de pandore ouvrant la porte à toutes les turpitudes. Ces deux dispositions ne profitent pas de la relativité des sciences juridiques. Elles ne parlent qu’une seule langue : l’invalidité de la candidature d’Abdoulaye Wade. Nous ne sommes pas à Babel. Les oracles ont fait le même songe : l’impossibilité d’un troisième mandat.
Sous ce rapport, comment expliquer la dysharmonie entre le Conseil constitutionnel et la communauté des universitaires ? Cet organe judiciaire est-il tributaire d’une « science » qui déborderait les « petits » esprits des universitaires ? Abdoulaye Wade, certainement répondrait par l’affirmative. Loin de tout corporatisme, l’auteur de ces lignes, quoique juriste-enseignant, entend déplacer son analyse sur le terrain de la morale pour mieux saisir la décision des cinq « sages ». La réflexion sur la légalité du troisième mandat présidentiel sous un prisme juridique, à mon sens, peut être abandonnée, sans aucune mégalomanie, à nos étudiants de la première année. L’étoffe universitaire mérite un adversaire d’une autre dimension.
Dire le droit ? Cette question aux allures techniques, scientifiques, juridiques… pour ma part doit revêtir au préalable un appareil moral. Ronald Dworkin, théoricien contemporain du droit, l’a bien compris. Dire le droit, ce n’est pas exclusivement recevoir une formation dans les facultés de droit. Dire le droit, c’est d’abord, être tributaire d’un courage. La première vertu humaine. Dire le droit, ce n’est pas faire preuve d’un « positivisme primaire ». Dura lex, sed lex, ce n’est pas dire le droit. Dire le droit, c’est prendre un attribut divin : Al Hakamou, mais aussi Al Adlou. Dire le droit, c’est l’Homme-dieu. Dire le droit, c’est la réalisation du surhomme Nietzschéen. Dire le droit…
Amplifiant les propos de notre collègue Fatou Kiné Camara, les facultés de droit assument une part de responsabilité fut-elle marginale dans la décision du Conseil constitutionnel. Enseigner à nos étudiants la hiérarchie des normes (Constitution, traités internationaux, loi, décret, arrêté…), c’est bien ; leur enseigner la hiérarchie des valeurs, c’est encore mieux.