Le regard du spécialiste Pr Alioune b. FALL
Le Conseil constitutionnel organise ce jour, mardi 6 septembre un séminaire interne pour discuter : « les compétences du Conseil constitutionnel», «l’exception d’inconstitutionnalité et la question prioritaire de constitutionnalité »; « les pouvoirs d’interprétation du juge constitutionnel » et « le statut du juge constitutionnel» en semblant anticiper ainsi sa réponse au débat dont il est placé au cœur, sur la validité ou non de la candidature à sa (re)succession du président
« Que Wade s’applique sa propre trouvaille »
Le Conseil constitutionnel organise ce jour, mardi 6 septembre un séminaire interne pour discuter : « les compétences du Conseil constitutionnel», «l’exception d’inconstitutionnalité et la question prioritaire de constitutionnalité »; « les pouvoirs d’interprétation du juge constitutionnel » et « le statut du juge constitutionnel» en semblant anticiper ainsi sa réponse au débat dont il est placé au cœur, sur la validité ou non de la candidature à sa (re)succession du président de la République sortant, Me Abdoulaye Wade. Ajoutant sa voix au défrichage du contentieux et/ou - c’est selon - la clarification, sous l’angle cette fois-ci du bon sens citoyen, le Pr. Alioune Badara Fall, professeur des universités, agrégé de droit public à l’Université Montesquieu de Bordeaux en France, Codirecteur du CERDRADI et rédacteur en chef de la Revue « Afrilex », invite le président Wade « à s’appliquer la limitation des mandats à deux, ainsi qu’il l’a lui-même initiée ». Entretien
Publié le 06/09/2011 | 07H08 GMT par Madior FALL
http://www.sudonline.sn/--que-wade-s-applique-sa-propre-trouvaille-_a_4683.html
Pr. Avez-vous suivi le débat qui anime l’opinion nationale et qui porte sur la candidature à sa propre succession du président Wade. Si oui, que vous inspire-t-il ?
J’ai suivi beaucoup d’interventions écrites et orales sur les dispositions constitutionnelles concernant la candidature du président Wade. A-t-il le droit de se représenter suite à la réforme constitutionnelle qu’il a lui-même initiée, ou n’a-t-il pas le droit de le faire? J’ai donc suivi tous ces débats parfois contradictoires. L’une des contributions qui m’a parue pertinente est celle qui a été faite par le Pr. Carcassonne sur la demande de Idrissa Seck. Carcassonne est un collègue. Nous avons été invités à Dakar en 2007, lors du deuxième congrès des hautes juridictions francophones. Nous avions comme thème de congrès, auquel participaient plus d’une trentaine de pays : « l’indépendance de la justice ». Je devais traiter des menaces internes à l’indépendance de la justice. Pour en revenir à notre propos, disons que quand on m’a demandé d’ajouter ma voix au débat, j’ai estimé qu’il était suffisamment enrichi, suffisamment développé pour en rajouter. Beaucoup de choses avaient été dites pour qu’il soit nécessaire d’apporter encore un éclairage là-dessus même si la répétition est pédagogique. Et en plus, je partage entièrement l’intervention du Pr. Carcassonne.
Il n’y a donc plus rien à dire dans ce domaine ?
Si, si, il y a toujours beaucoup de choses à dire là-dessus. Dans les disciplines juridiques des techniques d’interprétation des normes existent pour améliorer celles-ci, notamment, lorsqu’elles sont ambigües ou peu précises. Le texte de la Constitution n’échappe pas à ces techniques d’interprétation parce que certaines de ses dispositions peuvent se retrouver dans cette confusion ou ce manque de clarté. Seulement ces interprétations sont un champ vaste et ouvert. Les hommes politiques ont généralement tendance, par exemple, à interpréter les dispositions constitutionnelles en leur faveur, alors que les juristes en principe, tentent de donner au texte son sens exact. Au niveau de l’opinion publique ces interprétations se valent. J’ai plutôt pensé qu’aujourd’hui il faudrait placer le débat juridique au-dessus de ces positions qui ne facilitent pas la compréhension de ces questions complexes par le citoyen moyen, pour se placer au niveau de sa dimension politique, sa dimension citoyenne. Parce que tout simplement, en-dehors des étudiants, des Professeurs, des enseignants et professionnels du Droit, des spécialistes, la Constitution n’est pas toujours perçue par le citoyen lambda dans sa fonction et dans sa place réelle dans un système politique donné.
C’est quoi une Constitution ? C’est un texte dans lequel, est inclus un ensemble de règles que l’on peut résumer en deux catégories. La première catégorie concerne les règles qui portent sur l’installation des titulaires au pouvoir, l’acquisition du pouvoir par des citoyens comme vous et moi, qui y avons aspiré et avons la capacité de l’être. Comment accéder au pouvoir. La Constitution décrit les conditions juridiques à remplir pour être candidat, pour obtenir un mandat électif.
C’est une démarche qui est, a priori, tellement bien organisée qu’elle est forcément démocratique, parce que l’on ne veut pas une acquisition totalitaire ou monarchique du pouvoir. C’est le sens qu’il faut donner à la Constitution américaine et aux premières Constitutions françaises intervenues après la Révolution française et la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 qui sont une rupture entre la souveraineté divine, monarchique et la souveraineté démocratique, laquelle veut que le peuple soit le vrai titulaire du pouvoir, il est souverain donc. Comme le peuple est souverain, on ne peut pas exercer le pouvoir à sa place, sauf à l’exercer en son nom. C’est cette première démarche d’acquisition du pouvoir organisée par la Constitution qui est forcément démocratique. Le pouvoir ne s’acquiert pas parce qu’on est né dans telle ou telle famille, parce qu’on est riche, le plus fort ou le plus beau, mais parce que simplement on a rempli les conditions fixées par la Constitution. Ces conditions sont fixées de telle manière que cela ne soit pas arbitraire.
La deuxième catégorie concerne les règles qui, une fois au pouvoir, vous restreignent de telle manière que vous ne soyez pas arbitraire, ni autoritaire vis-à-vis du peuple souverain. Voilà les deux fonctions essentielles de la Constitution.
Selon vous donc, la Constitution est forcément démocratique.
La Constitution est caractérisée par des règles qui à la fois, donnent un fondement démocratique au pouvoir, mais aussi des limites démocratiques à l’exercice de ce même pouvoir pour que l’arbitraire ne soit pas la règle. Quand on observe bien le contenu des Constitutions, on constate que celles-ci se valent pratiquement toutes : fondement démocratique du pouvoir, limitation démocratique de l’exercice de ce pouvoir pour que l’arbitraire ne soit pas de mise. Il est vrai qu’il faut nuancer de tels propos car, selon que l’on soit dans tel ou tel pays, leur portée ou leur effectivité varie. Fort de cela, tout ce qui concerne la Constitution n’est pas donc l’apanage des constitutionnalistes, des publicistes ; elle concerne tout aussi bien le pénaliste, le civiliste, le spécialiste du Droit des affaires et bien évidemment le Professeur de Droit public ou le juge constitutionnel parce que tout y est comme garantie pour que l’arbitraire ne soit. Tout y est. Alors il s’agit simplement de faire appel au bon sens dans ce débat.
Que dit le bon sens dans ce débat selon vous professeur ?
Quand on observe bien les raisons fondamentales de la Constitution, on se rend compte qu’elle est conçue pour le bien-être de tous, du plus grand nombre tout au moins. A partir de ce moment, tout ce qui touche à cette Constitution doit aller dans le sens de son amélioration, surtout pour les pays africains qui, pour la plupart, viennent à peine de s’engager dans un processus de démocratisation de leur système politique. Pour cette raison la Constitution est entourée de mesures de protection insérées dans le texte lui-même pour la protéger contre les modifications non démocratique ou abusives dont elle peut faire l’objet. C’est pour cette raison qu’on a créé un Conseil constitutionnel en France, une Cour suprême aux Etats Unis, une Cour constitutionnelle en Italie etc. Au Sénégal c’est un Conseil constitutionnel pour justement que ces organes veillent au respect des garanties formulées en son sein, de sorte que les tenants du pouvoir ne viennent pas à les méconnaitre. Toute méconnaissance des règles édictées dans la Constitution est contraire à la garantie accordée aux citoyens. C’est donc le rôle de ces organes juridictionnels, de veiller au respect de ces garanties.
Quid de la non application des modifications opérées ?
Si donc le président de la République, qui a la possibilité d’initier une modification de la Constitution à côté d’autres organes, notamment le Parlement, décide de faire modifier celle-ci, dans le sens de démocratiser davantage le système politique, cela ne peut être que salué.
Ce qui serait mauvais, c’est de modifier la Constitution dans le sens d’une régression qui ne permettrait plus d’assurer l’application effective des principes démocratiques ou celle de l’Etat de droit ainsi que la garantie des droits et libertés du citoyen souverain. Si le chef de l’Etat fait procéder à une modification de la Constitution qui tend à limiter le nombre de mandats du président de la République, on peut valablement en déduire qu’il veut qu’aucun individu ne puisse s’accaparer du pouvoir au-delà de deux mandats pour éviter, justement que l’on assiste plus à ce qui a trop souvent existé en Afrique, des chefs d’Etat qui, gardent le pouvoir plus longtemps que nécessaire. La limitation du nombre de mandats contribue ainsi à améliorer le système démocratique, en favorisant l’alternance et la transparence dans la gestion du pays. Si donc le chef de l’Etat fait modifier la Constitution pour limiter le nombre de mandats à deux tout au plus, il se doit de se l’appliquer, sinon on comprendrait difficilement cette modification.
Comment expliquer le paradoxe qui existe entre son interprétation actuelle de la Constitution et sa volonté affirmée de parfaire le système politique dans le sens d’une meilleure démocratisation ?
Il y a là une contradiction qui ne révèle pas un démocrate. Le démocrate se caractérise par la combinaison de la volonté de parfaire et de l’acte qui accompagne cette volonté. On le voit donc l’esprit démocratique et la volonté de parfaire un système politique vont dans le sens de la limitation des mandats à deux. Se l’appliquer est la preuve pour l’initiateur qu’il croit à la pertinence de son choix et enfermerait ses successeurs dans cette contrainte démocratique. Le président Wade sortirait assurément grandi s’il abandonnait cette interprétation, qui me parait abusive, des dispositions de la Constitution et renonçait à se présenter pour la troisième fois.
Est-ce la raison pour laquelle, le Conseil constitutionnel sénégalais organise un séminaire sur sa saisine et son fonctionnement à partir de mardi prochain (l’entretien a eu lieu le vendredi 2 septembre Ndlr)?
Je ne suis pas encore au courant de ce séminaire. Peut-être cherche-t-on par là à clarifier les fonctions attribuées à cette haute juridiction. Ces fonctions grosso modo sont de trois sortes : assurer la conformité des lois avec la Constitution, gérer le contentieux électoral et protéger les droits et libertés des citoyens dans le cadre d’un Etat de droit démocratique.
De manière générale, la saisine de cet organe est très restreinte dans la mesure où beaucoup de pays refusent au citoyen la possibilité de contester directement la validité d’une loi et plus particulièrement l’atteinte qui peut être portée à un de ses droits ou libertés. Certains pays ont toutefois aménagé et encadré cette possibilité. Le cas du Bénin est plus significatif à ce propos, car dans ce pays, n’importe quel citoyen, y compris les étrangers, peut saisir la Cour constitutionnelle si une loi venait à méconnaitre une de ces libertés fondamentales. Il est en tout cas une bonne chose que chaque citoyen puisse se défendre contre un acte qui porterait préjudice à ses droits fondamentaux. Si l’initiative va dans le sens d’une meilleure appréciation du fonctionnement et du rôle du Conseil constitutionnel sénégalais, ce serait une bonne chose assurément.
La France a permis en 2008, sur l’initiative du président Sarkozy qu’un individu puisse se défendre d’une loi qu’il juge anticonstitutionnelle (après une tentative dans ce sens, avortée, par Mitterrand et Badinter). C’est la première fois qu’une telle possibilité est offerte au citoyen français dans la cinquième République. Jamais auparavant cela n’était possible, alors qu’on le permettait depuis plusieurs années dans des pays comme le Gabon, le Sénégal. Ce que je puis dire en outre est que le Conseil Constitutionnel au Sénégal et par ailleurs les autres juridictions constitutionnelles en Afrique peuvent contribuer au renforcement de la démocratie dans nos pays en respectant le rôle qui leur est assigné qui est de dire le droit.
Cela rencontrerait à coup sur l’adhésion des populations africaines qui ne sont point démunies d’esprit démocratique. Il faut cependant que ces juridictions puissent être amenées à prendre des décisions politiques, comme ce fut le cas par le passé aux Etats unis et en France. Avant même la colonisation, nos systèmes politiques connaissaient une certaine intelligence démocratique. Au Cayor par exemple, le roi était élu face à un congrès qui pouvait le destituer en cas de manquement constaté. Ce qui rappelle un des mécanismes du régime parlementaire, celui de la responsabilité politique du gouvernement devant les représentants du peuple. Au début des indépendances, il est vrai que les pouvoirs issus des coups d’Etat et/ou les partis uniques méconnaissaient royalement la règle de Droit, qu’elle fût législative ou constitutionnelle.
La Justice n’y était pas toujours indépendante. Aujourd’hui, il y a un changement important dont il faut tenir compte. De manière générale, les peuples africains semblent s’être appropriés le Droit et savent que le pouvoir et son exercice reposent sur des normes juridique et de manière plus large, sur des considérations démocratiques. Leur maturité empêche que l’on viole doctement sous leurs yeux les Constitutions. C’est pourquoi nul détenteur du pouvoir ne peut aujourd’hui décider sans se référer au Droit parce qu’il sait que les populations ont retenu que l’exercice du pouvoir est fondé sur celui-ci. Mais, nous n’avons pas encore réussi à surmonter le deuxième obstacle qui est le suivant : en utilisant le droit, les hommes politiques ont tendance à l’interpréter à leur seul profit. C’est-à-dire une instrumentalisation du droit pour leur maintien au pouvoir. Et c’est à ce niveau que se situe toute l’importance de l’œuvre de la Justice – en particulier celle des juridictions constitutionnelles - pour empêcher de telles pratiques. On a souvent incriminé le modèle hérité de l’Occident qui serait mal assimilé ou mal interprété en Afrique. Pour ma part, je crois plutôt que nos hommes politiques, du parti unique jusqu’à maintenant, ont compris très tôt comment manipuler le droit, notamment par de multiples révisions constitutionnelles, pour rester au pouvoir.
L’exemple ivoirien a montré qu’il y a eu ce que j’appelle un coup d’Etat constitutionnel qui peut être assimilé aux précédents, à la seule différence que celui-ci était basé sur une interprétation tendancieuse de la Constitution ivoirienne. Dès lors il n’est pas étonnant qu’aujourd’hui Gbagbo soit défait dans des conditions que l’ont connait. Un exemple à méditer pour les gouvernants.
EXERGUE
1. Les hommes politiques ont généralement tendance, par exemple, à interpréter les dispositions constitutionnelles en leur faveur…
2. Si donc le chef de l’Etat fait modifier la Constitution pour limiter le nombre de mandats à deux tout au plus, il se doit de se l’appliquer, sinon on comprendrait difficilement cette modification.
3. Les fonctions attribuées à cette haute juridiction sont de trois sortes : assurer la conformité des lois avec la constitution, gérer le contentieux électoral et protéger les droits et libertés des citoyens dans le cadre d’un État de droit démocratique
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« L’œil juridique de Alioune Badara Fall, professeur des universités, agrégé de droit public à l’Université Montesquieu de Bordeaux en France. »