Polémique autour de la déclaration de politique générale du premier ministre

Polémique autour de la déclaration de politique générale du premier ministre

Le Pr El Hadj Mbodj clôt le débat

 

« L’article 97 du Règlement intérieur de l’Assemblée nationale est anticontitutionnel »

« Le Règlement doit réglementer l’organisation et le fonctionnement interne de l‘Assemblée et se garder de sortir de ce cadre »

 

Le POPulaire

Quotidien d’informations de proximité - ISSN 0851 2444 - N°3816 – Lundi 13 Août 2012 –page 6 

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DEBAT AUTOUR DE LA DECLARATION DE POLITIQUE GENERALE DU PREMIER MINISTRE

L’éclairage du Pr El Hadj Mbodj 

 

Le Règlement intérieur de l’Assemblée nationale ne peut rien imposer au Premier ministre à propos de sa Déclaration de politique générale, à en croire le Pr El Hadj Mbodj qui se trouve présentement à Goma (République démocratique du Congo). En ce sens que, explique le constitutionnaliste, «l’article 97 du Règlement intérieur est a priori anticonstitutionnel”. Ce qui ruine tous les arguments avancés par les libéraux pour dénoncer le retard dans la présentation de ladite Déclaration.

.......... Propos recueillis par Barka Isma BA .............

 

Professeur, pouvez-vous nous éclairer par rapport au débat sur la Déclaration de politique générale du Premier ministre qui fait rage ? La Déclaration de politique générale du Premier ministre, suite à sa nomination par le chef de l’État a refait surface dans le dispositif constitutionnel sénégalais avec la Constitution du 22 janvier 2001 qui en fait une formalité substantielle en son article 55. Elle existait déjà dans la Constitution du 26 août 1960 et intervenait avant même la nomination formelle du Président du Conseil par le Président de la République. La personnalité pressentie pour occuper les charges de chef de l’Exécutif et du gouvernement devait se présenter seule devant l’Assemblée nationale, exposer le programme qu’elle entendait mettre en œuvre, si la confiance lui est accordée. Et c’est seulement après le vote de confiance, qu’elle pouvait choisir les membres de son gouvernement qu’elle devait présenter au chef de l’État pour la nomination formelle du gouvernement de la République. Sous l’empire de la 3e République, cette Déclaration de politique générale intervient après la prise du décret de nomination du Premier ministre qui, rappelons-le, est l’expression directe du pouvoir régalien discrétionnaire du chef de l’État. Les termes de l’article 55 de la Constitution sont clairs : «Après sa nomination, (nous soulignons) le Premier ministre fait sa Déclaration de politique générale devant l'Assemblée nationale. Cette Déclaration est suivie d'un débat qui peut, à la demande du Premier ministre, donner lieu à un vote de confiance. En cas de vote de confiance, celle-ci est accordée à la majorité absolue des membres de l'Assemblée nationale». Ce régime de la Déclaration de politique générale est différent de celui qui avait cours sous la première République, dans la mesure où le vote de confiance peut même ne pas avoir lieu. C’est au Premier ministre d’apprécier souverainement. Que dit la Constitution à propos des délais pour la Déclaration de politique générale ? La Constitution n’encadre pas dans le temps le moment de cette Déclaration. Toutefois, il résulte de l’esprit de la charte fondamentale et de l’interprétation qu’on peut donner de la formule «après sa nomination», que celle-ci doit intervenir dans un délai raisonnable qui devrait tourner autour de trois mois. Aussi, est-ce la raison pour laquelle l’article 97 du Règlement intérieur de l’Assemblée nationale fait obligation au Premier ministre de faire sa déclaration, «au plus tard trois mois après l'entrée en fonction du Gouvernement». 

 

Quelle autorité attacher aux dispositions du Règlement intérieur des Assemblées parlementaires ?

 

Le Règlement intérieur est un document à usage interne. Il doit réglementer l’organisation et le fonctionnement interne de l’Assemblée nationale et se garder de sortir de ce cadre pour envisager les rapports entre l’Assemblée nationale et le pouvoir exécutif, rapports qui sont du ressort de la Constitution. En d’autres termes, c’est au constituant d’imposer un délai aux pouvoirs publics dans les rapports qu’ils entretiennent entre eux et non à une institution d’imposer une volonté unilatérale à une autre qui lui est indépendante. Sur ce point, l’article 97 du Règlement intérieur est a priori anticonstitutionnel. (Ndlr : il s’agit du Chapitre XXII portant sur la Déclaration de politique générale, Article 97 qui dispose «Après sa nomination, le Premier Ministre fait sa Déclaration de politique générale devant l’Assemblée nationale. Cette Déclaration est suivie d’un débat qui peut, à la demande du Premier Ministre, donner lieu à un vote de confiance. En cas de vote de confiance, celle-ci est accordée à la majorité absolue des membres de l’Assemblée nationale [article 55 de la Constitution]». La Déclaration de politique générale doit intervenir au plus tard trois mois après l’entrée en fonction du Gouvernement. L’Assemblée nationale doit en être informée huit jours au moins avant la date retenue»). 

 

Au demeurant, le Règlement intérieur ne fait pas partie du bloc de la constitutionnalité, c’est-à-dire du corps de règles que le législateur doit respecter dans sa production législative. Il est certes soumis à un contrôle préalable obligatoire de conformité à la Constitution, mais le Conseil constitutionnel refuse de sanctionner une loi qui viole le Règlement intérieur des Assemblées parlementaires. Il s’agit là d’une jurisprudence constitutionnelle constante. La seule sanction envisageable est politique, à savoir la censure éventuelle du gouvernement, ce qui est chimérique dans les nouvelles démocraties parlementaires fondées sur la logique majoritaire.

 

Ceci dit, à l’instar des 65% des citoyens sénégalais qui ont voté pour une rupture dans la gouvernance étatique qui prévalait jusqu’alors, les nouveaux détenteurs du pouvoir d’Etat ne devraient ménager aucun effort pour réconcilier l’État avec le respect de la Constitution, des lois, des usages et valeurs démocratiques. Dans une interview à la Radio télévision nationale congolaise, me réjouissant de la seconde alternance démocratique intervenue au Sénégal, j’avais exprimé le vœu de voir le Président Macky Sall, avant même que le concept de Présidence normale ne soit galvaudé après le débat opposant François Hollande à Nicolas Sarkozy, «normaliser la fonction présidentielle» et surtout, restaurer l’État de droit, malmené par la malheureuse pratique wadienne du pouvoir.

 

Est-ce à dire alors que vous appelez le nouveau régime au respect de la charte fondamentale ?

 

Cette normalisation des institutions et cette réconciliation de l’État avec le droit, passe, au-delà du respect des institutions et des symboles de la République, par une abstinence de toute interprétation latitudinaire de la Constitution. Les nouveaux gouvernants doivent se garder de suivre la démarche de Wade consistant à s’autoriser tout ce que la Constitution n’interdit pas expressément. Il en est, entre autres, ainsi des valeurs, croyances, coutumes, usages et traditions démocratiques, comme, par exemple, la démission, souvent suivie de reconduction du Premier ministre après des élections législatives. Le cas du deuxième gouvernement du Premier ministre Jean-Marc Ayrault est édifiant. Il en est de même de l’obligation pour le Premier ministre de se sacrifier au rituel parlementaire de la Déclaration de politique générale dans un délai raisonnable suivant sa nomination.

 

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