La démission d'un Premier ministre est un fait si rarissime en Afrique

La démission d'un Premier ministre est un fait si rarissime en Afrique

La démission d'un Premier ministre est un fait si rarissime en Afrique qu'elle ne peut manquer de susciter des controverses, entre autres, sur le sort du gouvernement dont il est le chef.

La démission d'un Premier ministre est un fait si rarissime en Afrique qu'elle ne peut manquer de susciter des controverses, entre autres, sur le sort du gouvernement dont il est le chef. Pour le Président de l'Association congolaise de droit constitutionnel, Jean-Louis ESAMBO KANGASHE, un des acteurs du processus d'élaboration de la Constitution de la RDC du 18 février 2006, la démission du Premier ministre, de sa propre initiative ou suite à l'adoption d'une motion de censure, met fin à l'existence de son gouvernement.


Le développement d’un pays ne se mesure pas uniquement aux potentialités naturelles dont ce pays regorge. Il est également si pas fondamentalement tributaire de la capacité de l’élite intellectuelle à mettre sa science au service de la Nation. Dans un pays en quête de développement comme la République Démocratique du Congo, les gouvernants devaient être quotidiennement à l’écoute des gouvernés pour traduire dans les actes leurs besoins et aspirations.

 

L’observation de la vie politique congolaise de ces deux dernières décennies a permis de relever que l’intellectuel n’a pu sérieusement se mettre au service de sa Nation. On a déploré en effet, qu’à chaque fois que les institutions nationales et l’opinion publique ont été confrontées aux problèmes d’interprétation de textes, l’intelligentsia congolaise et particulièrement le juriste a été hors débat. Cette situation a laissé le débat juridique et notamment constitutionnel se dérouler dans l’agora ou les opportunistes de tout bord se sont accaparés des stations de radio et des chaînes de télévision. Ces constitutionnalistes des médias n’ont pas de gène ni pudeur pour s’autoproclamer spécialistes ou experts en droit constitutionnel.

 

Pendant la transition et après la promulgation de la Constitution du 18 février 2006, plusieurs questions constitutionnelles ont été soulevées et débattues. On a cru que les « vrais spécialistes » pouvaient être intéressés à ce débat que s’est finalement déroulé, à défaut des focus scientifiques appropriés, dans la rue. Qu’il s’agisse en effet du moratoire sur la nationalité congolaise décidé par l’Assemblée nationale, des motions de censure dirigées contre les gouverneurs des provinces, des nominations et promotions controversées au sein de la magistrature, des nominations au sein de la petite territoriale ou de la démission du premier ministre, le juriste constitutionnaliste semble avoir refusé d’éclairer les dirigeants et l’opinion. Il a été absent du débat qui le concerne pourtant au plus haut point.

 

On se souviendra qu’en date du 25 septembre 2008, le premier ministre Antoine Gizenga a démissionné de ses fonctions de chef du gouvernement. Cette décision a donné lieu à une multitude interprétations de la Constitution. Chacun s’est trouvé en effet dans un univers qu’il croyait lui être familier alors que le constituant attribue la charge d’interpréter la Constitution à la Cour constitutionnelle (article 161). En attendant que cette juridiction soit, en la matière, saisie par le président de la République, le gouvernement, le président du Sénat, le président de l’Assemblée nationale, le un dixième des membres de chacune des chambres parlementaires, des gouverneurs de province et des présidents des Assemblées provinciales, l’interprétation de la Constitution semble être assurée par les politiques et les hommes des médias.

 

Approché par le journal le Potentiel (n°4423 du 26 septembre 2008), nous avions affirmé que « la démission du premier ministre implique celle du gouvernement tout entier ». Cette affirmation a suscité plusieurs réactions dont celle parue dans le même quotidien le 30 septembre 2008. Sous la plume de Monsieur YUMA BIABA professeur de droit public à l’Université de Kinshasa, le Potentiel n°4436 publiait un article intitulé « démission du premier ministre : conséquences sur le fonctionnement du gouvernement ». Dans son analyse, l’auteur fait une distinction entre la démission personnelle du premier ministre et celle collective du gouvernement à la suite de l’adoption par l’Assemblée nationale d’une motion de censure. Pour lui, « la démission personnelle du premier ministre ne peut, dans le régime constitutionnel congolais, entraîner celle du gouvernement. Celui-ci devait fonctionner régulièrement sous la conduite intérimaire du membre ayant la préséance ». Pour conclure sa réflexion, le professeur affirme que « jusqu’à l’acceptation de sa démission par le président de la République, le premier ministre expédie les affaires courantes de la primature ». Estomaqué (selon ses propres termes) par cette analyse, le professeur Auguste MAMPUYA suggère qu’au dé la d’une querelle artificielle, le juriste congolais se réfère à la lettre et à l’esprit de la Constitution (Potentiel n°4438 du 02 octobre 2008). Pour lui, « le gouvernement part avec son chef et ne gère que plus que les affaires courantes ».

 

Après avoir suivi les avis des uns et des autres sur la question, une interrogation nous est venue à l’esprit : la démission du premier soulève-t- elle une constitutionnelle ou une querelle politicienne ? C’est pour tenter de donner un autre son de cloche dans ce débat qui n’en est pas un que nous avons cru nécessaire de faire cette mise au point, mieux de livrer cette réflexion. Mais avant de trancher sur le sort du gouvernement après la démission du premier ministre, il semble indispensable que les idées soient fixées sur la nature du régime politique institué par la Constitution du 18 février 2006.

 

I. Le régime politique institué par la Constitution du 18 février 2006

 

Parmi les questions sur les quelles, le constituant du 18 février 2006 a eu de la peine à trancher se trouve bien celle du régime politique. Son embarras n’est pas une nouveauté dans l’écriture constitutionnelle congolaise. On se rappellera qu’à chaque virage constitutionnel au Congo, les violons ont eu toujours du mal à s’accorder entre les défenseurs d’un régime parlementaire et ceux du régime présidentiel. Une tendance médiane est apparue en faveur d’un régime semi-présidentiel qui est, on l’oublie souvent, également semi-parlementaire.

 

La Constitution du 18 février 2006 a refusé de nommer le régime qu’elle a institué. Sa réserve est compréhensible parce qu’elle voulait que les uns et les autres s’y retrouve. Il n’empêche que lorsqu’on fait la lecture correcte des articles 78, 90, 91, 138, 146 et 147 de la Constitution, le régime mis en place est, en débit de l’élection du président de la République au suffrage universel (article70), parlementaire. Ce régime assure la stabilité des institutions, Il réglemente de manière claire la procédure du renversement du gouvernement par l’Assemblée nationale (articles 146 et 147) et les conditions de la dissolution de l’Assemblée nationale (article 148). C’est un régime parlementaire rationalisé doublé d’une importance capitale accordée au fait majoritaire. Ceci signifie par exemple que dans un multipartisme intégral à la congolaise, on ne peut être assuré de former le gouvernement que dans la mesure où on dispose d’une majorité absolue à l’Assemblée nationale.

 

L’observation des résultats des élections législatives de 2006 permet de soutenir que sur 269 partis politiques qui ont participé au scrutin à l’issue duquel 500 députés ont été élus, aucun n’a à lui seul obtenu la majorité absolue. A l’Assemblée nationale, on relève qu’au moins 13 groupes parlementaires ont été constitués. En rapport au nombre de députés composant ces groupes parlementaires, le Parti du Peuple pour la Reconstruction et la Démocratie compte 124 députés. Il est suivi du Mouvement de Libération du Congo qui en a compte 64. L’Ordre de Démocrates Républicains et le Groupe Parlementaire pour la Paix, la Démocratie et le Développement sont représentés chacun avec 12 députés.

 

Il s’en suit que, pour être en mesure de former un gouvernement susceptible d’être investi par l’Assemblée nationale, les alliances politiques doivent voir le jour. La désignation du premier ministre se fait conformément à la Constitution. Elle dépendante de cette donne politique importante qu’est la recherche permanente de la majorité Il peut arriver que pour une raison ou une autre, les fonctions du premier ministre prennent fin. Il convient de connaître le sort réservé au gouvernement.

 

II. Le sort du gouvernement après la démission du premier ministre

 

Parmi les conditions qui peuvent conduire à la fin du mandat du premier ministre, le constituant a prévu son décès, son empêchement et la démission du gouvernement. La question que l’on peut se poser est celle de savoir si la démission d’un premier ministre en régime parlementaire peut entraîner le renvoi automatique de tout le gouvernement. La Constitution de la République Démocratique du Congo précise en son article 78 alinéa 1er que le président de la République met fin aux fonctions du premier ministre sur présentation par celui-ci de la démission du gouvernement. La Constitution ne prévoit donc pas l’hypothèse de la démission intuitu personae du premier ministre. Elle indique que sur proposition du premier ministre, le président de la République nomme les autres membres du gouvernement et met fin à leurs fonctions.

 

La bonne lecture de cette disposition constitutionnelle conduit à soutenir que la démission d’un premier ministre entraîne celle du gouvernement. L’argument qui considère la non prise en compte par le constituant de la démission personnelle du premier ministre nous semble discutable. En régime parlementaire en effet, le gouvernement tient son existence constitutionnelle à celle du premier ministre qui en est le chef. Il en résulte que même si la démission personnelle du premier ministre n’a pas été prévue par la Constitution (c’est la volonté du constituant), la bonne écriture constitutionnelle doit se limiter à poser les principes généraux et non les cas particuliers.

 

Dans cette perceptive, il ne fait l’ombre d’aucun doute que la démission quoique personnelle du premier ministre a entraîné celle de toute l’équipe gouvernementale. La réunion du conseil des ministres convoquée et présidée par le président de la République le 30 septembre 2008 a confirmé la démission du gouvernement. A notre avis, la démission du premier ministre Gizenga est une question constitutionnelle. Elle ne doit pas donner lieu à un débat politicien. Le juriste congolais doit éviter, comme on l’a vu et entendu, de suivre des analyses qui n’ont d’autres fondements que l’ignorance ou la méprise de la Constitution, ce qui constitue une sorte de « dénie scientifique » de leur part. Dans tous les cas, la science juridique ne se construit pas sous le coup de l’émotion mais avec rigueur dans les analyses des faits en rapport avec le droit.

''Jean-Louis ESAMBO KANGASHE

Président de l’Association Congolaise de droit constitutionnel''